•  


    Rûmî- Odes mystiques

     

             J'ai repris les Odes Mystiques de Rûmî (coll. Points-Sagesses) dont j'avais suspendu la lecture en milieu de livre, et là, je ne trouve plus que des joyaux !

              Je ne puis que les lire et relire... 

           Je vous propose de découvrir avec moi la 326e - selon le classement opéré dans le livre cité. J'y ai ajouté quelques notes (le plus légèrement possible, avec juste une astérisque) mais souvent, si les propos de Rûmî nous paraissent un peu obscurs, il suffit juste de se laisser porter par eux, par le souffle qui les anime, et l'on comprend. 

              Cette Ode rappelle que les multiples désirs mondains doivent être délaissés pour l'unique désir du Divin, car Celui-ci donne sans compter à ceux qui se détournent du monde pour aller vers Lui, tout en demeurant pourtant le Créateur inconditionnel de tout ce qui est, que ce soit plaisant ("la couronne") ou déplaisant ("les entraves"), mondain ("ceux qui paissent") ou non ("ceux qui volent"), débutant ("le raisin vert") ou confirmé ("le vin"), misérable ("l'épine") ou épanoui ("la fleur")...

               La puissance d'amour exprimée par Rûmî entraîne et comble le cœur du lecteur il me semble, qu'il y adhère ou non. Et vous, qu'en pensez-vous ?...

              Mais écoutons plutôt le poète.

     

     

    Donne-moi l'extase et donne-moi l'émerveillement, ô Toi mon Créateur au-delà de l'extase !

    Donne naissance à Leylâ et fais mourir Madjnûn*, ô Artisan sans outils !

    Cent désirs divers dans le cœur de Leylâ et de Madjnûn

    Crient devant Toi : « ô Toi, Donateur sans besoins ».

    L'anneau du désir est le sceau de Salomon* ;

    Il est en gage chez toi, ne cesse pas de le porter.

    Le mois du repentir est passé, un nouveau mois est arrivé

    Qui brise et détruit cent repentirs en un seul instant.

    Que celui qui ignore le vertige pour Lui connaisse le vertige !

    Combien est stupide le cœur qui n'a pas vu ses intentions frustrées !

    Nous sommes devenus ici boiteux. Ferme la porte de la maison.

    Ceux qui paissent et ceux qui volent, tous boitent devant Son seuil.

    Ô amour ! Tu es l'âme universelle, tu es la couronne et les entraves à la fois,

    Tu es l'appel du Prophète et aussi le manque de foi de la communauté.

    Tu nous as créés avec un cœur assoiffé,

    Tu nous as attachés à la source de cette joie.

    Mon épine pour toi s'est transformée en fleur, mes parcelles sont devenues le tout ;

    Contemple le tout dans la parcelle, c'est là ce qui convient.

    Contemple dans le raisin vert le vin, et dans le néant l'existant ;

    Ô Joseph* ! contemple dans le puits la souveraineté et le royaume.

    Une épine sans fleur n'occupe point la place d'honneur dans la prairie ;

    Comment l'être fait du limon de la terre obtiendrait-il la vie sans le souffle divin ?

    Bats des mains et sache que chaque son s'origine dans l'ivresse de ce Vin,

    Car si tu bats des mains, il y a là aussi union et séparation.

    Garde le silence ; le printemps est venu, la rose est venue, et l'épine aussi ;

    Les beautés sont apparues de l'invisible pour t'inviter. 


    Rûmî, Odes mystiques - traduites du persan
    par Eva de Vitray-Meyerovitch et Mohammad Mokri

     

    *(1)  Leylâ : représente l'amour mystique parfait pour lequel Madjnûn (mot qui signifie "fou") ira jusqu'à mourir, sans se soucier de la personne réelle qui vécut sa vie tranquille (voir ici).

    *(2) Sceau de Salomon : objet magique offrant puissance sur les choses (voir ici).

    *(3) Joseph : personnage biblique très populaire dans la tradition islamique, qui représente l'élu de Dieu rejeté par les siens puis accédant à la Royauté après une transformation complète (voir ici) ; cette image rappelle vivement pour nous Jésus.

     

     


    4 commentaires
  •  

             Pour clore cette rétrospective de ma semaine de retraite silencieuse, voici le poème que j'ai dédié au lieu et à ses habitants.

           Il reflète ce que j'y ai ressenti, avec bien sûr la chance d'y avoir séjourné au mois de mai.

          "Dechen Chöling" est le nom donné à ce domaine acheté en 1994 (voir aussi cette page) et signifie "Lieu du Dharma de Grande Félicité" .

     

     

    Profusion de fleurs
    de chants d’oiseaux

     

    Arbres immenses
    aux troncs puissants
    couverts de lierre

     

    Vallons profonds
    aux petits lacs
    où jasent les grenouilles

      

    Chemins pentus
    entre les prés herbus
    où paissent des chevaux
    et des vaches

     

     Le ciel grandiose
    aux nuages pressés
    qu’éblouit le soleil

      

    Et tout dedans
    ce Cœur ouvert
    cette gentillesse
    cette chaleur

     

    Un nid d’amour
    où reposer enfin
    dans le creux du moment

     

    Un nid de paix
    où se couler enfin
    dans la joie de la Vie

      

    Dans la Vie pleine
    totale et immédiate

     

     Et s’y abandonner
    comme l’oiseau
    qui plane
    haut
    très haut
    dans le ciel

     

      

    Dechen Chöling

     

     


    11 commentaires
  •  
    Retraite silencieuse (suite)

     

          Je vous avais annoncé que je vous relaterais certains exercices particuliers de cette retraite.

          Vous vous doutez peut-être qu'en matière de "méditation couchée", nous avons été guidés dans un voyage intérieur à travers notre corps, afin de le ressentir et de l'habiter pleinement.

            Mais le plus bel exercice, "l'exercice divin" comme j'aime à l'appeler, est un exercice alchimique.

           Il est si merveilleux, que nous avons été invités à le faire trois après-midi de suite : le mercredi, le jeudi et le vendredi.

          C'est un exercice zen que je connaissais par le Tarot de la Transformation d'Osho Rajneesh : il s'agit de sa carte n°38, nommée justement "La Transformation" ; mais je n'avais jamais su le réaliser vraiment, n'en comprenant pas bien le fonctionnement.

     

    Transmutations

     

            Mathias Pongracz nous l'a expliqué longuement et posément, en lui donnant un nom sans doute japonais que je n'ai pas retenu, et cette fois il a je crois porté tous ses fruits.

              À mon tour je vais vous en détailler le mécanisme. 

             Là où Osho indiquait deux phases (inspir - expir), Mathias nous en a détaillé quatre, voire cinq, ce qui le rend infiniment plus pertinent.

             Cet exercice vise à nous faire ressentir notre cœur comme un véritable athanor, dans lequel toute boue se transforme en or... En en prenant conscience, on devient donc capable de développer la compassion à un niveau quasi universel : d'où son importance dans l'univers du bouddhisme zen. Cependant, sans viser quelque résultat que ce soit, il permet surtout d'habiter son cœur, et de prendre conscience de sa force ainsi que de l'indicible félicité qu'il recèle.


              Commençons.

    1ère phase -  Assis en méditation, dans la posture qui vous convient le mieux (on peut être assis sur une chaise, le dos droit et les pieds bien à plat sur le sol), après vous être bien détendu et intériorisé, remémorez-vous un moment de bonheur intense dans votre vie : lorsque quelqu'un vous a vraiment aimé, regardé et apprécié en profondeur (cela peut être un animal), ou lorsque vous vous êtes épanoui après une création, un effort récompensé, ou encore face à un paysage particulièrement inspirant. Prenez le temps de bien ressentir cette ouverture et cette chaleur dans votre cœur.

    2ème phase - Commencez alors à inspirer par le nez consciemment en ressentant que vous absorbez quelque chose de noir, de nauséabond, "claustrophobique", étouffant... En arrivant dans votre cœur, tout cela est automatiquement transformé et, consciemment, vous expirez alors par la bouche de l'air parfumé, rayonnant, rempli de lumière et de chants d'oiseaux.
    Faites cela pendant un certain temps.

    3ème phase - Après avoir bien ressenti la 2de phase, remémorez-vous un épisode particulièrement douloureux de votre vie et cette fois, inspirez cette douleur, sentez-la qui se transforme dans votre cœur, puis expirez-la sous forme de joie et de lumière.
    Faites cela durant un certain temps.

    4ème phase - Maintenant, songez à une ou à des personnes de votre connaissance qui souffrent ; inspirez leur douleur et transformez-la dans votre cœur pour laisser retomber sur eux des bénédictions.

    5ème phase - Enfin, si vous vous en sentez le courage, imaginez toute la souffrance de la terre et inspirez-la, pour renvoyer ensuite en expirant toute la joie et la beauté possible sur le monde...
    Faites cela un moment, avant de revenir doucement à vous.


        Cet exercice est remarquablement puissant, particulièrement lorsque l'on commence par ressentir profondément la chaleur authentique du cœur grâce à la première phase ; mais aussi lorsque l'on s'implique soi-même personnellement en permutant d'abord sa propre souffrance intérieure - ce qu'Osho avait omis de prévoir. Il dilate le cœur en le remplissant de joie et rend heureux par la conviction d’œuvrer pour le bien.

          Je vous invite à l'essayer vous aussi, mais sans vous précipiter, en prévoyant pour cela une  bonne vingtaine de minutes.

          Note : j'avais appris, dans les années 90, à travailler sur de la musique. Là, c'était totalement silencieux, et je confirme que c'est excellent - surtout si en fond sonore on entend des chants d'oiseaux !

            Bon exercice de la transformation à vous !

     

     


    13 commentaires
  •  

     

     

    Demeurer dans

    l'Instant aveugle

    qui Est

     

     

     

    à suivre ici :


    8 commentaires
  •  

    Dechen Chöling - la façade du château

     

            Je poursuis mes confidences concernant la retraite évoquée précédemment.

             Je suis arrivée là sans trop savoir d'où venaient les autres ni ce qu'ils cherchaient, sachant seulement que je voulais me couper du quotidien et demeurer intériorisée le plus possible.

           Lors de la première réunion, notre instructeur (Mathias Pongracz) nous a demandé de nous présenter brièvement en donnant notre prénom, notre ville d'origine, et notre intention en un seul mot. Je pensais évidemment "éveil", mais prudemment, je me disais qu'il serait vraiment trop ambitieux de prononcer ce mot, et je lui ai préféré "ouverture". Comme vous le verrez, je n'ai eu qu'à m'en féliciter. 

            Autour de moi, je perçus surtout des termes tels que "liberté", "paix", "connaissance de soi", "guérison", etc...

         Par contre le jour même, dès notre premier exercice de marche lente et concentrée à l'extérieur, chacun pour soi, je me suis trouvée à croiser notre guide derrière le château. Alors je n'ai pas pu m'empêcher d'aller lui confesser : "Je cherche l'éveil... Mais je sais bien que l'éveil n'est qu'une pensée !" (Je savais en effet que l'éveil ne peut que survenir lorsque l'on ne le cherche plus).

            Il m'a regardée en disant : "L'éveil ? Mais c'est déjà passé !"

            Ça m'a fait un choc ; d'autant plus que cela me rappelait fortement le fameux mantra "magique" qui clôt le Sutra du Coeur de la Prajña Paramita :

    « Gate, gate, paragate, parasamgate, bodhi, svaha ! »
    Passé, passé, dépassé, totalement dépassé, éveil, ainsi soit-il.


              Quelques jours plus tard, je devais avoir un entretien privé avec lui. Je pensais que mon principal souci était en fait d'échapper à la peur de disparaître... Quand j'étais jeune, la mort ne me paraissait pas redoutable car je croyais fermement à la survie de l'âme ; et voilà que plus je vieillissais, moins j'en étais sûre ! Je me disais que cette survie n'était après tout qu'une croyance, et que de toutes façons la mort serait pour moi au moins une extinction, au même titre que le sommeil lorsque je m'endormais la nuit. Atteindre "l'éveil" voulait donc dire pour moi demeurer éveillée même durant le sommeil, afin de me sentir protégée de ma propre extinction.

           Or, tandis que je faisais la même petite marche méditative derrière le château, à l'endroit précis où j'avais croisé Mathias quelques jours plus tôt, il m'arriva une expérience qui me fit sursauter violemment.

           Depuis quelques pas, le soleil qui était derrière moi presque à son zénith projetait devant moi sur le petit chemin herbeux une grande ombre noire. Et je la regardais, me  disant : "Voilà, c'est tout ce que je suis ; une ombre projetée sur le monde..." Et celle-ci reproduisait fidèlement tous mes mouvements, comme une image dans un miroir, elle se mouvait lentement sur le sol sous mes yeux. Jusqu'au moment où... frrrt ! Elle s'évanouit doucement... Plus d'ombre !!! Plus personne, que le chemin herbeux parsemé de pâquerettes, le sol terreux jonché de petits cailloux, qui n'avaient pas changé... Plus de moi ! Ce n'était pas plus compliqué que cela. Bientôt l'ombre reparut ; puis à nouveau elle disparut ... Je suivais cela les yeux écarquillés. Enfin on m'appela pour mon entretien.

           J'exposai mon étrange aventure ; Mathias me sourit et me dit :

    « Mais la mort, c'est à chaque instant ! À chaque instant, vous mourez à l'instant précédent, et vous renaissez à l'instant nouveau. »

          Comme c'était simple ! J'avais vu ma mère partir tout doucement, sans s'en apercevoir... Ainsi ce n'était qu'une continuité, la même existence qui se poursuivait avec juste des changements de forme.

     

              Au dernier jour du stage, nous étions invités à nous mettre par deux pour échanger nos impressions et expériences. Je me trouvai avec une femme de mon âge (donc plus toute jeune...) qui me dit :

    « Je suis extrêmement déçue. Je cherchais l'éveil, et il n'est pas venu. Je déprime, car je vais devoir rentrer chez moi... »

          Quelle surprise ! Je ne l'avais pas entendue évoquer cette intention le premier jour ! Je ne pus m'empêcher de sourire, moi qui, m'étant exprimée en premier, avais déclaré que j'étais ravie, et que ces journées m'avaient comblée au-delà de mes espérances. Je cherchai tout de même à la rassurer : après lui avoir affirmé que l'éveil est comme un poisson qui vous glisse dans la main lorsque vous voulez l'attraper, j'ajoutai que la dépression était une excellente chose, preuve que le mental était en train de lâcher - ce qui est la seule condition pour que l'éveil survienne.

           Finalement elle parut réconfortée.

     
          Mais je crois que ce qui m'a le plus frappée, c'est ce jeudi matin, lorsqu'en me levant j'eus envie d'ouvrir à n'importe quelle page mon livre préféré de Chögyam Trungpa, "Mudra", qui contient ses poésies de jeunesse, et que je tombai sur ces mots : 


    Aujourd'hui lève-toi !
    Le soleil brille avec éclat.
    Écoute - tu es l'essence de mon cœur ;
    Tout ce qu'il y a de bon dans la vie.
    Je t'invite - Aujourd'hui lève-toi !

    ("Première rencontre", p.95)


           Je me sentis vraiment désireuse de suivre son injonction, me rappelant les mots de Jésus au paralytique :

    "Lève-toi et marche !"

        Or en milieu de matinée, après notre déambulation recueillie dans le parc,  Mathias nous invita exceptionnellement à demeurer debout pour méditer quelques instants. Puis il nous dit :

       « Beaucoup d'hommes sont encore comme les animaux, ils regardent vers le bas. Mais pourtant, voyez comme nous nous tenons debout ! N'est-il pas merveilleux que la conscience humaine ait pu s'élever ainsi vers le ciel ? N'est-il pas extraordinaire de se sentir debout, de se relever, de se dresser comme un arbre ? »

     

    Chögyam Trungpa - Mudra

     

     

             Dechen Chöling signifie en tibétain "Le lieu de la Grande Félicité".

     

     à suivre ici :


    14 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires