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    Celui à qui s'est dévoilé le mystère de l'amour,
    Celui-là n'est plus, car il s'est effacé dans l'amour.
    Place devant le soleil la chandelle ardente
    Et vois comme son éclat disparaît devant ces lumières :
    La chandelle n'existe plus, la chandelle s'est transmuée en lumière.
    Il n'y a plus de signes d'elle, elle-même est devenue signe.
    Il en va de même du feu corporel dans la lumière de l'esprit :
    Il ne reste pas feu, il devient cette flamme.
    Le ruisseau court à la recherche de l'océan ;
    Il se perd quand il est noyé dans l'océan.
    Tant que la recherche existe, le cherché n'est pas connu ;
    Quand l'objet de cette recherche est atteint, cette recherche devient vaine.
    Donc, tant que cette recherche existe, cette quête est imparfaite.
    Quand la recherche n'est plus, elle acquiert alors la suprématie.
    Tout être sans amour qui cherche un turban
    Est dépourvu de tête, il n'est que turban,
    Jusqu'à ce qu'il aperçoive soudain une beauté au visage de rose :
    Ce turban et sa tête ne sont alors pour lui qu'une épine.
    Comme moi, il est devenu, dans la passion qu'inspire Shams-od-Dîn1,
    Celui qui dans son cœur recèle tous ces secrets.

     

    1Shams-od-Dîn : Derviche errant dont la rencontre conduisit Rûmî à l'Illumination. De plus, le nom de "Shams" signifie "Soleil".

     

        Un enseignement magnifique, mais qui n'acquiert sa portée qu'à l'issue de longues années de dévotion et d'abandon de soi.

         En effet, la chandelle évoquée doit d'abord être allumée et posée sur la fenêtre ; ou encore : aucune lumière ne traversera une vitre obscurcie par le sable !

          Autrement dit, cette ode ruisselante de gratitude, comme toutes les odes de Rûmî, ne peut être comprise vraiment que de celui qui a parcouru un long chemin déjà... et qui par exemple, a déjà été bouleversé par "un visage de rose", ou blessé par la flèche puissante de l'Amour divin.

     

     

     


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               Pour en avoir beaucoup entendu vanter les mérites, j'ai commandé le Mathnawî, une œuvre en vers de Rûmî. Je ne trouvais pas dans les Odes Mystiques ni dans les Quatrains les magnifiques pièces de vers que Mooji cite parfois en anglais.

     

    Mathnawi- Tome 1er

     

           Mais il ne s'agit manifestement pas du même type de création : il s'agit là d'un ouvrage d'enseignement conçu sous forme de récits plus ou moins enchaînés les uns aux autres, partant de la vie quotidienne de l'époque et débouchant inopinément sur de longues réflexions philosophiques ou morales. De plus il est énorme : 830 pages pour le premier volume ! Je ne m'y attendais pas... Mais j'ai bien lu "le Cantique des Oiseaux" de Attâr, alors je savais que la littérature soufie ne pouvait me décevoir.

             Et il faut dire que cette lecture m'enchante comme ce fut le cas pour l'œuvre de Attâr ... En effet elle est composée de chapitres courts avec des titres détaillés comme dans les anciens romans d'aventures, ce qui en facilite l'accès, et la taille imposante du livre permet une présentation aérée et une écriture large, avec des lettrines ornées pour chaque début de chapitre ; de plus ces récits sont pleins de charme et toujours émaillés de passages poétiques, laissant place avec une fantaisie déroutante à de larges développements mystiques, comme celui que je me décide à vous livrer ici.

           J'ajoute qu'étant de culture chrétienne, j'ai pu découvrir à travers le soufisme (qui n'est certainement qu'un aspect de l'Islam) que le Coran fait partie de ces écrits post-christiques auxquels appartiennent d'abord les évangiles apocryphes, et qu'on peut y voir notamment l'aboutissement de longs débats de pensée autour de la personne et du message de Jésus. Finalement on pourrait dire (mais ceci n'engage que moi et ma culture fort limitée de la question) qu'il y a un grand élan initié par l'Ancien Testament et achevé avec la rédaction du Coran, qui semble poser avec Moïse la notion du Dieu "Père" (Celui qui EST), avec Jésus et le Nouveau Testament la notion du "Fils" (Celui qui incarne Celui qui est), et à travers le Coran, la notion d' "Esprit" (le Paraclet ou Souffle du Père qui, grâce à l'intercession de Jésus, anime ensuite tous les êtres sans distinction, et les rappelle au Père en corrigeant l'erreur commise par Adam).

     

    Le Sîmorgh-ou Soi divin



             « Prenez garde, ô vous qui êtes esclaves des paroles et des discours, vous qui recherchez l'admonition et par les paroles et par l'ouïe.

            Mettez du coton dans l'oreille du sens physique, enlevez le bandeau du sens visuel !

          L'oreille est le coton de l'oreille intérieure : jusqu'à ce que l'oreille externe soit rendue sourde, c'est l'oreille interne qui n'entend pas.

           Soyez sans sensation, sans oreille, sans pensée, afin de pouvoir entendre l'appel de Dieu : "Reviens !"

          Tant que tu es en conversation éveillée, comment peux-tu percevoir la conversation du sommeil ?

           Nos actes et nos paroles sont le voyage extérieur ; mais le voyage intérieur est au-delà des cieux.

          Le sens physique a senti la sécheresse parce qu'il est né sur la terre ; le Jésus de l'âme a mis le pied sur la mer.

         Le voyage du corps terrestre a lieu sur la terre, mais le voyage de l'esprit passe au cœur de la mer.

          Puisque ta vie s'est passée à cheminer sur la terre, tantôt sur la montagne, tantôt sur la mer, tantôt sur la plaine,

         Où trouveras-tu l'Eau de la Vie ? Où fendras-tu les vagues de l'Océan ?

          Les vagues de la terre sont nos illusions et notre entendement, et notre pensée ; les vagues de l'eau sont l'effacement, l'ivresse et l'anéantissement.

           Quand tu es dans cette ivresse (des sens) tu es loin l'ivresse mystique ; tandis que tu es ivre de celle-ci, tu ne vois pas l'autre coupe.

           La parole et le discours extérieurs sont comme la poussière ; habituez-vous à garder le silence. Prenez garde ! »


    Mathnawî - Livre premier, v. 565 à 577

     

           La leçon est sans appel : se "convertir", c'est se détourner du monde pour plonger en soi. C'est savoir se taire et écouter...

           Cependant on peut garder les yeux ouverts sans prêter vraiment attention aux apparences, et suivre le précepte du Petit Prince : « Les yeux sont aveugles ; il faut chercher avec le cœur... » C'est la meilleure façon de parvenir à l'émerveillement !

     

     


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         Voici une ode mystique de Rûmî qui est un véritable joyau (comme presque toutes !).

       À noter, pour ceux que l'actualité intéresse, que Rûmî est musulman. Mais la spiritualité soufie atteint aux sommets de la sainteté : c'est elle d'ailleurs qui a influencé notre Moyen-âge, tant dans religion d'amour des troubadours, que dans la dévotion à Marie qui a donné nos plus belles cathédrales... C'est pourquoi je ne vois aucune objection à passer d'une religion à une autre en ce qui concerne sa finalité suprême, qui devient automatiquement la même la Vérité étant Une et indivisible.

           Il s'agit de l'ode n°806, toujours dans l'édition Seuil/Points-Sagesse.

     

    O mon Dieu, ce parfum suave vient-il du jardin de l'âme ?
    Ou bien est-ce une brise arrivant de l'au-delà du monde ?
    O mon Dieu, de quelle patrie jaillit cette source de vie ?
    O mon Dieu, cette lumière de Tes attributs, de quel lieu provient-elle ?

    Oh ! merveille ! ce tumulte s'élève-t-il des cohortes angéliques ?
    Ces éclats de rire sont-ils ceux des Houris du Paradis ?
    Quel est ce sama'* qui fait danser les âmes ?
    Quel est ce sifflet qui fait venir se poser le cœur à tire d'aile ?

    Qui est le jeune marié, quelle est la dot, que le firmament ressemble à un dais nuptial ?
    La lune vient apportant un plat rempli de pièces d'or.
    Quelle est la proie que perce la flèche du destin ?
    S'il n'en est pas ainsi, d'où vient la plainte de l'arc ?

    Heureuse nouvelle, ô amoureux ! Battez des mains !
    Celui qui s'était échappé de nos mains revient en applaudissant.
    Du haut des remparts du ciel s'élève le cri : « Faites-nous merci !»
    Du côté de l'océan arrive la foule des pensées.

    Les yeux de la Fortune sont éblouis par votre bonheur ;
    Cela prouve qu'il se manifeste à tous les yeux.
    Vous avez échappé à ce monde de famine
    Où quelques morceaux de pain se conquièrent de haute lutte.

    Quoi de meilleur que l'âme ? Pourtant, quand elle s'en va, n'aie point de souci ;
    Pourquoi t'affliger de son départ, puisque vient la remplacer quelque chose de mieux encore ?
    Chacun s'étonne, et moi aussi je m'émerveille de ceci :
    Celui que nul ne peut contenir, comment est-il contenu dans le cœur ?

    Je me tais ; c'est un mystère : je ne l'explique pas.
    Que ferais-tu de l'explication, quand vient l'âme de l'explication ?

     

    * sama' : danse giratoire sacrée des derviches tourneurs, ayant pour origine une audition mystique entraînant ivresse et oubli de soi (voir ici).

      

    Les merveilles de l'au-delà sont déjà dans notre cœur
    Carte du tarot Zen : L'intensité

     


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    Ne te désespère pas, ô mon âme !

    L'espoir de toutes les âmes est arrivé de l'invisible.

    Ne te désespère pas, bien que Maryam ne soit plus là :

    Cette lumière qui emporta Jésus vers le ciel est venue.

    Ne désespère pas, ô mon âme, dans les ténèbres de cette prison,

    Car ce Roi qui racheta Joseph de la prison est venu.

    Jacob est sorti de la tente où il se cachait,

    Joseph, qui déchira le voile du secret de Zuleikâ, est venu.

    Ô toi qui as passé toute la nuit jusqu'à l’aube disant : « Mon Seigneur, mon Seigneur ! »

    Celui qui a entendu ce « Mon Seigneur, mon Seigneur ! » est venu.

    Ô toi dont la douleur a duré si longtemps, oh ! bonheur ! la guérison est là.

    Ô toi dont la serrure est fermée, ouvre, voici la clé.

    Ô toi qui jeûnes devant la « Table céleste »,

    Romps le jeûne, car la nouvelle lune est née.

    Sois silencieux, sois silencieux, car par l'ordre de « Kun(1)»,

    Le choc de l'émerveillement est plus fort que la parole.

     

    Rûmî, Ode mystique 631 (Seuil, Points sagesse)

     

    (1) Kun : "sois !", le fiat créateur.

     

     


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         Encore un beau moment de méditation offert par le doux maître Rûmî.

     

    « Tu étais mort, mais ton regard a contemplé l'univers de l'âme ;
    Quand tu ressusciteras, tu sauras désormais comment il faut vivre.
    Celui qui, comme Enoch, est mort, puis est revenu sur terre,
    Enseigne dans le royaume  céleste et connaît les choses invisibles.
    Viens, dis-moi par quel chemin tu es sorti de ce monde,
    Et de l'autre côté aussi, par quelle invisible route tu es revenu ici-bas ?
    C'est un chemin sur lequel s'envolent chaque nuit toutes les âmes ;
    De ville en ville, toutes les cages se vident d'oiseaux pendant la nuit.
    Quand les pattes de l'oiseau sont liées, il ne s'envole pas au loin,
    Il n'arrive pas au ciel, il ne parvient pas à décrire des cercles dans les airs ;
    Quand, par la mort, il brise ses attaches et s'envole,
    Il découvre la réalité et le secret de toutes choses.
    Garde le silence, car le monde du silence est une plénitude ;
    Ne bats pas du tambour de la parole : la parole n'est qu'un tambour vide. »

    Rûmî, Ode mystique n° 493

     

     


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