C'est souvent par la musique que j'ai découvert les plus beaux poèmes.
Ainsi ce texte superbe de Paul Éluard, mis en musique avec d'autres sous le titre de "La Fraîcheur et le Feu" par Francis Poulenc - mais qu'on apprécie mieux en le lisant même si l'interprétation en est magnifique, parce que le texte n'est pas toujours parfaitement intelligible quand il est chanté.
Écrit en 1938, il évoque la tombée de la nuit sur Paris et l'ouverture de l'âme à l'infini.
Tout disparut même les toits même le ciel
Même l'ombre tombée des branches
Sur les cimes des mousses tendres
Mêmes les mots et les regards bien accordés
Sœurs miroitières de mes larmes
Les étoiles brillaient autour de ma fenêtre
Et mes yeux refermant leurs ailes pour la nuit
Vivaient d'un univers sans bornes.
Écouter ici la musique de Francis Poulenc
La fin n'est pas sans me rappeler celle d'un poème du romantique allemand Eichendorff, lui aussi découvert par sa mise en musique par Robert Schumann : "Mondnacht" (Clair de lune). Écrit en 1835 et évoquant la tombée de la nuit sur la campagne au contraire, il montre lui aussi l'âme s'ouvrant à l'infini.
Texte original Traduction
« Es war, als hätt’ der Himmel « C'était comme si le ciel avait
Die Erde still geküßt, Embrassé la Terre silencieusement,
Daß sie im Blütenschimmer De sorte que, dans la lueur des fleurs,
Von ihm nun träumen müßt’. Elle dût désormais rêver de lui.
Die Luft ging durch die Felder, La brise allait à travers champs,
Die Ähren wogten sacht, Les épis ondulaient doucement,
Es rauschten leis die Wälder, Les bois frémissaient faiblement,
So sternklar war die Nacht. Tant la nuit était illuminée d'étoiles.
Und meine Seele spannte Et mon âme étendit
Weit ihre Flügel aus, Largement ses ailes,
Flog durch die stillen Lande, S'envola par les campagnes silencieuses,
Als flöge sie nach Haus. » Comme si elle rentrait chez elle. »
Traduction trouvée sur Wikipedia
Ou celle d'un autre poème allemand, daté celui-là de 1911 et dû à Hermann Hesse, mis cette fois en musique par Richard Strauss avec d'immenses volutes évoquant l'envol de l'âme à travers la nuit (le 3e de ses "Quatre derniers lieder", à écouter ici).
BEIM SCHLAFENGEHEN AU MOMENT D'ALLER DORMIR
«Nun der Tag mich müd gemacht, Las à présent de ma journée,
soll mein sehnliches Verlangen J’accueille, en mon désir ardent,
freundlich die gestirnte Nacht En ami la nuit constellée,
wie ein müdes Kind empfangen. Pareil au las petit enfant.
Hände, laßt von allem Tun, Mains, délaissez ce que vous faites,
Stirn, vergiß du alles Denken, Cervelle, cesse de penser :
alle meine Sinne nun Tous mes sens à présent souhaitent
wollen sich in Schlummer senken. Dans le sommeil de se plonger.
Und die Seele unbewacht Et l’âme ainsi qui se délivre,
will in freien Flügen schweben, À tire d’aile, librement,
um im Zauberkreis der Nacht Part dans la nuit magique vivre
tief und tausendfach zu leben. Mille fois plus et pleinement.»
Traduction française de Lionel-Édouard Martin
Finalement, s'agit-il vraiment de romantisme ? Ou n'est-ce pas plutôt l'apanage du poète, que de connaître et ressentir plus que tout autre le foisonnement infini de la Grande Vie de l'Univers ?