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              Voici un bel extrait de la Bhagavad-Gîta, dans la traduction d'Alexis Lavis.

           Le héros Arjuna, descendu de son char de combat au moment où la bataille aurait dû s'engager, s'adresse à son cocher Krishna dont il connaît la sagesse et qu'il a choisi pour guide.

         Or, les paroles d'apaisement que lui prodigue celui-ci ne sont pas à comprendre comme un encouragement à tuer comme on pourrait le croire, mais juste à accepter l'inéluctable : car si on lit correctement le Mahâbhârata dont est tiré ce passage, on apprend qu'Arjuna n'a plus le choix et qu'il est quasiment en état de légitime défense, après avoir maintes fois reculé devant la violence de ses cousins décidés à lui ravir son trône, en renonçant chaque fois à répliquer à leurs attaques et même en s'exilant en leur faveur.
         Dans ce texte, aller au combat est pour nous synonyme d'accepter la vie telle qu'elle se présente, sachant que les apparences sont comme les vagues de la mer ou les nuages du ciel : une fluctuation de l'Être qui lui, est immuable. La situation guerrière est de plus une occasion pour méditer sur la réalité de la mort.

      

    « Et voici, ô Dhritarashtra, ce que répondit Krishna, le visage ombré d'un sourire, à cet homme désespéré pris entre deux armées.

    (...)

      -  Si ces corps face à toi périssent, le Principe qui les soutient tous est éternel, indestructible, infini. Aussi, ô noble guerrier, va au combat !

        Penser qu'il y a un tueur et un tué est une illusion ; personne ne tue, personne n'est tué. Personne ne naît, personne ne meurt ; personne ne commence, personne ne finit d'être.

        Le Soi véritable ne périt pas lorsque meurt le corps. (...) L'homme abandonne son corps comme un vêtement usagé ; son Soi authentique se réincarne alors pour vivre une autre existence.

          Or ce Soi, nulle dague ne saurait le blesser, nul feu ne saurait le brûler, nulle eau ne saurait le noyer, nul vent ne saurait le dessécher... Le Soi ne peut être atteint par tout cela ; il est éternel, omniprésent, égal en tout. »

     

     

    NB : à titre d'illustration, voir la vidéo proposée par Daniel Genty sur les expériences de "mort transitoire" ici.

     


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    «  La curiosité mène au savoir ;

    Le désespoir mène à la découverte. »

    disait Mooji lors d'un satsang hier à Monte Sahaja

     

    « Les chants désespérés sont les chants les plus beaux »

    écrivait aussi Alfred de Musset

     

            Ne sont-ils pas "plus beaux", précisément parce qu'ils nous touchent au plus profond ?

           Le retour à Soi - à ce que nous sommes vraiment - n'a rien à voir avec une recherche mentale.

           On se souvient de cette anecdote relatant la réaction d'un Maître Zen à qui un de ses disciples, assidu depuis de nombreuses années, avait demandé pourquoi il n'était pas encore parvenu à son but alors qu'il s'efforçait depuis si longtemps de ne se concentrer que sur son travail spirituel.

         Il le conduisit au bord du lac proche et lui ordonna d'entrer dans l'eau jusqu'à la ceinture. Puis, sans prévenir, il lui attrapa brusquement la tête et la lui plongea vigoureusement dans l'eau. Au bout de quelques instants, quand le disciple se mit à se débattre, il le lâcha enfin et, le voyant prendre une grande inspiration, il lui demanda :

    - "À quoi pensais-tu à l'instant ? Pensais-tu à ton travail spirituel ?

    Le disciple répondit :

    - Non ! Je ne pensais qu'à obtenir de l'air !

    - Eh bien, repartit le Maître, tu parviendras au but quand celui-ci te deviendra aussi indispensable que cet air respirable."

     

          Le désespoir traduit l'urgence ; et seule l'urgence vient à bout de l'édifice impressionnant construit par l'ego pour nous conserver prisonniers de nos petits comportements "personnels".

     

     


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    L'Avadhûta

     

           Je ne me lasse pas de relire, par toutes petites gorgées, cette merveille qu'est l'Avadhûta Gîtâ, ici dans la traduction d'Alain Porte (que son adaptation en vers libres rend encore plus inspirante).

             Voici un passage du premier chapitre :

    En vérité c'est en toi, et par ce que tu es,
    que tu remplis totalement toute chose.
    Tu n'es ni celui qui médite, ni la méditation, ni la pensée.
    Comment méditer alors sans rougir ?


    Je ne connais pas la Béatitude, comment la dire ?
    Je ne connais pas la Béatitude, comme la partager ?
    Si je suis Béatitude, la Réalité ultime a comme propre forme
    D'être partout égale, et semblable à l'espace.


    Je ne suis pas la Réalité, la Réalité est partout égale,
    rien ne l'incite à prendre forme.
    Sans personne pour percevoir, sans rien à percevoir,
    Comment être son propre objet de connaissance ?

    Avadhûta Gîtâ I, 26-27-28

     

       Cette lecture plonge dans une profonde méditation ou, comment dire, dans un état de stupeur ou d'extase, par la répétition toujours plus intense d'expressions qui déroutent le mental et détruisent ses certitudes.

        Tout ce à quoi l'on s'accroche est progressivement soustrait pour laisser place à une sorte d'évidence qui frappe au cœur. C'est une forme d'incantation... En effet, comment dire ce qui ne peut être dit ? C'est la conclusion du second chapitre.

    Là où ni pensée ni parole ne peuvent se produire,
    Comment l'enseignement d'un maître est-il possible ?

    Avadhûta Gîtâ, II, 40

     

     

     


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    Conseils de sagesse pour aller de l'avant

     

         Pema Chödrön, née en Amérique en 1936 et devenue nonne bouddhiste après avoir été mariée deux fois et avoir élevé des enfants, auteure de nombreux livres de sagesse mais aussi d'un ouvrage qui s'intitule "Conseils d'une amie pour des temps difficiles", expose dans ce livre (paru initialement en anglais en 2015) tout ce que sa riche expérience et sa pratique spirituelle lui ont permis de comprendre au sujet de l'échec.

         1 - Qu'il fait partie de la vie et fait de nous des humains à part entière, nous interdisant donc de nous auto-flageller à chaque fois que cela nous arrive.

             2 - Que le ressentir pleinement est donc une occasion pour nous d'ouvrir notre cœur au-delà de l'ego, et de nous rapprocher davantage des autres.

     

              Ce livre, très agréable dans sa première partie (un discours à des étudiants) parce que très aéré et ponctué de belles calligraphies en forme de spirale ouverte, est suivi d'un long interview de la moniale, dont je vous cite ici les dernières pages, qui évoquent la perte de nos moyens physiques à travers la paraplégie, puis plus simplement la vieillesse (elle confie qu'à 79 ans elle ne peut plus rester 1/2h assise pour méditer ! Cela me rassure). Il faut dire qu'ayant été instruite par Chögyam Trungpa elle était à bonne école, celui-ci ayant vu tous ses projets s'écrouler à l'âge de 29 ans, quand un accident de voiture le rendit définitivement hémiplégique. 

            J'ai fait quelques coupures pour obtenir un extrait plus large sans qu'il soit trop long.

     

    «  Bien sûr, vous avez l'impression que quelque chose de terrible est arrivé quand vous vous réveillez après un accident et que vous êtes paralysé de la nuque aux orteils, par exemple. Je ne peux qu’imaginer l'épreuve à traverser. Mais au bout d'un moment, après avoir vécu une forme de processus de deuil et après vous être senti très misérable pendant quelque temps, vous pouvez finir par vous dire, tout simplement : "Je n'ai rien fait de mal. Ma nature véritable n'a pas été touchée par cet événement. Mon être profond est toujours le même qu'avant."

         Qu'il s'agisse d'une maladie mentale ou d'un handicap physique, cela n'a pas entamé votre nature profonde. Vous pouvez avoir confiance en elle et revenir à elle comme à une pierre de touche. Et donc votre pratique, encore et toujours, consiste à sentir ce que vous ressentez sans l'émergence du scénario que vous élaborez par-dessus, à rester avec ces sensations telles qu'elles sont, avec beaucoup de douceur et même de reconnaissance.

              (...)

            Cela ne veut pas dire se sentir bien ou se sentir mal, mais aller au-delà des étiquettes de bien et de mal. Vous pouvez sentir que votre nature véritable est vaste, ouverte, fraîche, impartiale, et non emprisonnée dans ces étiquettes que nous collons partout.

              Tout est dans notre état d'esprit quand il s'agit de vieillesse : tout considérer comme positif, comme une occasion d'aller de l'avant (...). Plutôt que de reculer pour chercher à vous réfugier dans ces petites îles de sécurité qui ne cessent de vous lâcher, vous apprenez à voler ou à flotter et à être en paix dans la non-forme, dans les moments où vous perdez pied, ou lorsque vous vous trouvez face à l'ouverture sans limite de ce qui est - tous ces états qui sont en fait ce que vous êtes vraiment depuis le début.

           Vous ne savez jamais vraiment ce qui va se passer ensuite, et vous ne savez jamais qui vous êtes, instant après instant. Tout se déroule instant après instant. Vous savez, pour moi à l'heure actuelle, c'est palpitant de voir comment tout continue de se dévoiler. Même l'ennui... »

    Pema Chödrön, une conversation avec Tami Simon

     

         Je n'avais pas pensé recopier cette dernière phrase, et maintenant je la trouve magique ! "C'est palpitant de voir comme tout continue de se dévoiler."

         La Vie : un dévoilement... Et c'est ce qui suscite l'émerveillement. Petit à petit, tout apparaît ; et nous savons que rien n'aurait jamais pu être changé à ce qui de toutes façons EST.

     

     

     


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           Dans "Correspondances", Baudelaire se fait initié, et je ne me lasse pas du premier quatrain de ce sonnet.
     

    La Nature est un temple où de vivants piliers
    Laissent parfois sortir de confuses paroles;
    L’homme y passe à travers des forêts de symboles
    Qui l’observent avec des regards familiers.

     

         Il me semble que là tout est dit - peut-être en souvenir de la fin du second Faust de Goethe qui proclamait :

    Tout ce qui passe
    N'est que symbole.

     

    En effet, la Nature est le Temple de l'Esprit.

    Tout ce qui vit est un élément de ce Temple.

    Notre mental ne peut percevoir clairement la Parole que l'Esprit nous adresse, en tant que Ses Enfants.

    C'est souvent sous l'aspect symbolique qu'il comprend le mieux cette Parole.

    Et si l'Homme observe réellement cette Parole ou ce symbole, il se découvre lui-même dans un vivant miroir... d'où ce "regard familier".

     

     


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