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    « Le chemin n'est pas terminé ; le calice de la vie n'est pas bu jusqu'au fond...»

       Ainsi s'exprimait Ivan Wyschnegradsky dans "La Journée de l'Existence", ce monument pour récitant et orchestre où il décrit les luttes de la Conscience pour parvenir à sa pleine réalisation. Mais tandis que ce texte autrefois me laissait perplexe tout en piquant ma curiosité, aujourd'hui je ne cesse de m'y replonger en y découvrant constamment de nouvelles vérités, qui me soutiennent sur mon propre chemin.

        J'ai lu quantités de livres, écouté bien des conférences, qui souvent m'ont apporté une ouverture, une espérance ; mais qui une fois refermés, une fois terminées, m'ont laissée tout aussi démunie qu'au départ, et revenue à l'endroit même où j'étais avant de les aborder.

        Cependant j'ai remarqué une chose : quand un être prétendument réalisé vous offre un aperçu de sa démarche (ce que vous souhaitez ardemment bien sûr), jamais ce qu'il a vécu ne correspond à ce que vous vivez vous ; et mieux encore : sur plusieurs récits de ce genre, aucun ne se ressemble !

        Alors jaillit cette vérité incontournable : dans l'immense diversité de la Vie, aucun cheminement n'est identique, chaque "individu" étant radicalement différent. Par contre les méthodes à utiliser, si elles semblent initialement aussi multiples que les milliers de voies existantes, s'avèrent au final étrangement similaires, et lorsque l'on s'approche de la fin, de plus en plus universellement semblables.

         Dans l'obscurité du chemin, qui demeure totalement désertique jusqu'à la fin (et l'on sait bien qu'il ne fait jamais si noir que juste avant le lever du jour), on cherche désespérément des repères, et il m'a semblé en trouver dans le dernier ouvrage consulté (qui cependant ne m'a pas toujours paru si limpide non plus) : 

    « L'Aventure Intérieure », de Darpan. 

        En voici quelques phrases riches de profondeur :

    «  Un autre mode d'être semble vouloir naître, mais nous n'y comprenons rien. La transition semble interminable, cependant il ne faut pas se laisser abattre car elle a une fin. Nous devons tenir en laisse notre rationalité, agir sans rien attendre en retour, sans opposer de résistance à ce qui se présente. La partie de nous qui veut en finir est justement celle qui doit être mise à genoux.

       (...) Nous pouvons nous accrocher comme des naufragés à notre corps, à nos paroles ou à nos habitudes. Nous effacer nous-mêmes fait payer un lourd tribut à notre "humanité". Nous ne pouvons que nous en remettre à plus grand que nous : cette intention agit en dépit de nos complaisances.

      (...) Après nous être ouverts à l'Immensité voilà que nous nous recroquevillons dans notre petite personne. (...)

        Même si le processus est ardu et inconfortable, nous savons, en notre for intérieur, que ce qui oeuvre en nous est juste. (...)

        Chacun reçoit le mal ou le pire qui l'aide à sortir de sa personne. »

     (p.312-313)

     

     Or le pire, c'est justement de ne pas recevoir ce à quoi l'on s'attend.

    Le pire, c'est de ne jamais voir venir ce que l'on espère de tout son être depuis si longtemps.

    Le pire, c'est de croire qu'un autre a reçu ce choc fatal que l'on espérait pour soi, et de s'imaginer qu'on en est moins digne ; que tout le travail effectué est demeuré vain. Et donc de douter de sa propre compréhension du travail à faire, et de ses propres capacités. Puis de douter de la "force supérieure" à laquelle on s'était pourtant totalement abandonné... !

    Alors, réussira-t-on à voir que ce regard en nous tourné vers l'imaginaire (ce qui est supposé arriver à un autre) est cela même qui est notre carcan et notre bourreau ?

    Comment un événement prévu - déjà anticipé ou lu - pourrait-il nous éveiller ?!

    La sonnerie du réveil-matin, la fraîche lumière du petit jour font-elles partie du rêve qui se déroule ?

    La surprise doit être totale.

     

     


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          Je ne sais plus écrire de poésie... il me semble aujourd'hui que j'ai tout dit, du moins en ce qui concerne le monde épais de l'émotionnel et du mental.

         Mais le soir, quand tombe la nuit, combien plus poète m'apparaît le merle qui improvise à l'infini des phrases toujours changeantes, toujours plus gracieuses et plus créatives ! Je ne sais que l'écouter.

      Et hier au soir, combien plus poète encore était le grillon, qui se mit à chanter quand parut la première étoile, belle et resplendissante sur le bleu profond de l'Orient - la planète Jupiter... Et moi, qu'en aurais-je dit ?

        Cependant il est un poème qui aujourd'hui m'émeut chaque jour plus profondément, grâce à l'interprétation qu'en a donnée mon nouveau maître en spiritualité, l'ardente flèche vive Lili Boulanger ; c'est le "Soir sur le Plaine" d'Albert Samain (mort lui aussi prématurément, et un peu maître lui-même puisqu'on peut lire de lui à cette page : "ma vie n'a pas d'histoire"...).

        C'est la 4e strophe, que je retranscris ici en italique, qui m'impressionne particulièrement. Lili a su en souligner la profondeur en répétant pour terminer "Écoute !" comme un écho qui se perpétue.

     

    Vers l'Occident, là-bas, le ciel est tout en or !
    Le long des prés déserts où le sentier dévale
    La pénétrante odeur des foins coupés s'exhale.
    Et c'est l'heure émouvante, où la terre s'endort.

    La faux des moissonneurs a passé sur les terres
    Et le repos succède aux travaux des longs jours.
    Parfois une charrue oubliée aux labours
    Sort comme un bras levé, des sillons solitaires.

    La nuit à l'Orient verse sa cendre fine.
    Seule au couchant s'attarde une barre de feu.
    Et dans l'obscurité qui s'accroît peu à peu
    La blancheur de la route à peine se devine.

    Puis tout sombre et s'enfonce en la grande unité.
    Le ciel enténébré rejoint la plaine immense.
    Écoute ! Un grand soupir traverse le silence,
    Et voici que le cœur du jour s'est arrêté.

     

         Pour l'écouter dans l'interprétation pour chœur, solistes et piano de Lili Boulanger, il faut choisir de préférence une version vraiment inspirée, qui sait mettre en valeur cette dernière strophe dans toute sa magique splendeur. Hélas, les français sont tout le contraire de mystiques et dédaignent leurs plus grands musiciens ou poètes, tandis que par chance les étrangers (allemands, anglais, suédois, américains...), savent les apprécier.   

         C'est pourquoi la meilleure interprétation en sera trouvée ici, avec des chanteurs mal familiarisés avec notre langue mais d'une grande sensibilité. Si l'on souhaite n'écouter que la 4e strophe, c'est à partir de 5'30 (ici). Mais en écoutant le tout, on pourra découvrir l'immense délicatesse de peintre et de poète avec laquelle cette jeune femme d'à peine 20 ans a su esquisser par élans successifs la mouvante beauté de ce tableau, et en suggérer toute l'intense profondeur, lui apportant puissance et vie.

     

     


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    « Peu importe ce qui survient ;
    Ce qui importe, c'est Qui tu es,
    Toi qui le perçois. »

    Mooji

     

    Amma accueille tous ceux qui viennent à elle, quels qu'ils soient, d'où qu'ils viennent, quels que soient leur histoire ou leur problème...

    Elle leur ouvre ses bras et leur offre son amour, constamment, sans distinction, avec une infinie patience.

     *  *  *

     
        Ainsi dois-en permanence accueillir et embrasser tout ce qui se présente à moi, sans distinction, sans jugement, avec amour et infinie patience. Accueillir et aimer les événements, les personnes, les situations, les sentiments ou les pensées en tant que faisant partie de Ce qui est là ; c'est-à-dire de ma propre image : car ce que je perçois reflète ce que je suis profondément, seul mon mental habille les choses à sa convenance selon le prisme de mes conditionnements.

         La patience est le premier signe de l'Amour.

     
         Récemment j'évoquais cette question qui aurait pu, selon Eckhart Tolle, être posée à tout moment par le maître Rinzaï :

    « À cet instant précis, que manque-t-il ? »

        Après réflexion et application de l'exercice, je remarque qu'elle n'élude rien des possibilités de "manque" présentes dans l'esprit. Ce qui la fait tomber, ce n'est pas le travail de recherche ni les réponses trouvées, bien au contraire !

           Ce qu'il faut, c'est l'observer et découvrir qu'il ne s'agit que d'un concept : le "manque" est juste le contenu d'une pensée... D'ailleurs, "l'instant présent" également ! S'arrêter pour saisir un instant est déjà une opération mentale.

     
         Si comme le prescrit Mooji je demeure en tant que Cela qui perçoit, et si comme Amma j'embrasse et accueille avec amour tout ce qui se présente à cette perception sans distinction, alors j'accueille de la même façon la pensée du manque, la pensée de l'instant présent, et toutes ces pensées qui font partie de l'Être et sont simplement là, survenant puis disparaissant tour à tour... 

     

     


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    S’élancer en avant dans une incessante création, dans un perpétuel élan,

    Vers le nouveau, l’inconnu, une vie nouvelle,

    De ce qui n’a encore jamais existé !  (...)

    Emporte-moi au loin vers l’inconnu de l’avenir

    À la rencontre de la liberté désirée ! (...)

     

      Ainsi s'exprimait Ivan Wyschnegradsky dans la seconde partie de son extraordinaire Poème symphonique pour Récitant et Orchestre intitulé La Journée de l'Existence.

    Et je me souvenais de ces mots en me promenant, pensant que rien de ce qui m'était présenté n'avait encore jamais existé ; que tout y était neuf, perpétuellement neuf, et non seulement neuf mais encore jailli tout vif de ma pensée, qui dessinait des formes au sein de l'Être immense dans lequel j'évoluais.

    D'ailleurs n'allais-je pas précisément marcher sur une sorte de serpent lové dans l'herbe, et qui n'était qu'un morceau de corde mystérieusement abandonné ?

    Un peu plus loin encore je souris en découvrant des réverbères orange allumés dans des ruelles pourtant baignées de la resplendissante lumière de midi, y voyant l'image parfaite de notre petit mental s'obstinant à se rendre intéressant alors qu'il n'éclaire rien du tout, la véritable lumière lui étant extérieure.

    C'est alors que celui-ci (ce petit mental fouinant dans ses tiroirs pour avoir le dernier mot) me rappela un vers de Phène ; ou plutôt me titilla pour que je réussisse à me le remémorer...

    ...  Voyons voyons, où parlait-elle d'a-venir ??? Avec quoi faisait-elle un jeu de mots ??? Un rapport de transformation ???

    Je résistai un instant à céder à la recherche, la prenant dans le mauvais sens : en effet je cherchais un rapport avec un autre mot qui commencerait par "a" ; mais j'en vins soudain à cette évidence que ce n'était pas le "a" qui était conservé, mais le "venir" !

    Et le "sous - venir" surgit !

     

    L'errance

    prend fin

    quand

    deux - venir

    s'abîme en

    a - venir


    Phène
    (Extrait de Feuillets Apocryphes)

     

    Au lieu de percevoir deux éléments séparés évoluant simultanément (l'Homme et son Créateur - Soi et le monde) ou même - ou surtout ! - au lieu d'imaginer deux points distincts étant celui que l'on occupe et celui que l'on veut atteindre ("devenir"), on perçoit un stop, un arrêt de tout mouvement. Il ne s'agit donc même plus d' "à venir" (de cette "liberté désirée" qu'évoque Wyschnegradsky à ce niveau de sa méditation), mais d'absence d'attente, d'absence de recherche.

    Il n'est plus besoin d'aller où que ce soit, tout étant devenu UN.

     

     


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    « Je ne suis ni la pensée ni l'intelligence, ni le moi, ni la conscience ;
    Je ne suis ni l'oreille, ni la langue, ni le nez, ni l’œil ;
    Je ne suis pas davantage l'atmosphère, la terre, le feu, ni le vent ;

    Je suis Pure Béatitude, l'Esprit Divin, l'Esprit Divin.

     

    Je ne suis pas le souffle de vie, ni le corps,
    Je n'habite pas les organes ni même les corps subtils ;
    Je ne suis pas davantage la voix, les membres ou le sexe ;

    Je suis Pure Béatitude, l'Esprit Divin, l'Esprit Divin.

     

    Je ne subis pas attirance ou répulsion, désir ou illusion ;
    Je ne connais ni l'orgueil, ni la colère, ni l'envie ;
    Je n'ai pas davantage besoin de discipline, de chance, d'aspiration ou de libération ;

    Je suis Pure Béatitude, l'Esprit Divin, l'Esprit Divin.

     

    Je ne suis ni dans la vertu ni dans le vice, ni dans le bonheur ni dans la souffrance ;
    Je ne nécessite ni mantra ni pèlerinage, ni Saintes Écritures ni sacrifices ;
    Car je ne suis ni la nourriture, ni le fait de goûter, ni celui qui goûte ;

    Je suis Pure Béatitude, l'Esprit Divin, l'Esprit Divin.

     

    Je ne connais ni la mort, ni la peur, ni les classes sociales ;
    Je ne connais pas davantage de père, de mère ni de naissance,
    Pas plus que de frère, d'ami, de maître ou de disciple.

    Je suis Pure Béatitude, l'Esprit Divin, l'Esprit Divin.

     

    Je suis Immuable et Infini,
    Présence servant de support à tout ce qui est perçu,
    Éternellement libre et illimité ;

    Je suis Pure Béatitude, l'Esprit Divin, l'Esprit Divin. »

     


    Âdi Shankarâchârya, Âtmashatakam (le Chant de l'Âme),
    encore appelé "Nirvâna Shatakam" ("Le Chant de l'extinction")
    dans une traduction personnelle
    à écouter ici

     

     

     


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